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L'ego en veilleuse — Comment des pilotes d'avion communiquent en situation de crise
L'histoire d'une jeune pilote d'avion en danger, dont les interactions en plein vol révèle le secret d'une communication efficace... Applicable hors d'un cockpit ?
Pour commencer, je vous recommande de regarder la vidéo de 11 minutes qui suit.
C’est l’enregistrement d’une conversation entre des pilotes d’avion et une tour de contrôle. Lors du décollage, un avion amateur perd son train d’atterrissage avant. Au commande de cet avion ? Une jeune élève-pilote de 21 ans, qui vole en solo pour la troisième fois seulement.
Comment va-t-elle affronter la situation pour atterrir sans s’écraser ? Comment d’autres personnes vont-elles tenter de l’aider ?
Si vous lisez la suite sans regarder la vidéo, vous risquez d’avoir du mal à apprécier l’analyse qui suit. Et, surtout, vous allez rater un condensé d’émotions qui pourrait nourrir votre foi en l’espèce humaine.
La vidéo est en anglais et est intégralement sous-titrée :
Il y aurait des centaines de choses à analyser dans ces échanges. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’harmonie avec laquelle chaque personne a joué un rôle différent pour régler la situation.
Cela m’a d’autant plus marqué que, dans mon activité professionnelle, je passe beaucoup temps avec des équipes pour les aider à trouver la juste répartition des rôles de chacun, dans des projets de product discovery.
Un des enjeux clés est de clarifier qui a le pouvoir de décision final. Cette clarification semble souvent très délicate à opérer. Comme si l’ego de chacun ne voyait pas d’autres moyens pour contribuer significativement à un projet.
Il existe en réalité de nombreuses manières d’apporter de la valeur à une situation, en mettant son ego de côté. Examinons toutes celles que l’on peut voir à l’oeuvre dans cette vidéo.
Demander de l’aide
Dès le début, l’élève-pilote Taylor (avion N478DC) verbalise clairement qu’elle n’est pas sûre de savoir comment gérer la situation : “J’aimerais bien un peu d’aide.”
Elle conserve cette attitude tout le long du vol, en posant régulièrement des questions qui expose son ignorance :
“Est-ce que je dois rester dans le circuit ?”
“Est-ce que je dois aborder cet atterrissage comme un atterrissage normal sur terrain mou ?”
Du début à la fin, Taylor est transparente sur ce qu’elle traverse émotionnellement ("Je vais bien, je veux juste que ça se termine."), ce qui permet aux personnes autour d’elle d’ajuster leur soutien au fil du temps.
S’intéresser au contexte de l’autre
Parmi les détails qui font toute la différence, il faut s’arrêter un instant sur les deux premières questions que pose l’instructeur Chris (avion N667SU) :
“Tu es élève-pilote, c’est ça ?”
“Tu es seule ?”
Les réponses obtenues permettent à tout le monde autour de prendre conscience de la mesure de la situation.
Ensuite, tout le long de l’échange, Chris continue de s’intéresser à Taylor.
“Tu t’appelles comment ?”
“Tu te sens d’essayer une approche ?”
“Comment tu te sens ?”
Répéter ce qu’on a entendu
Plusieurs fois, Taylor et Chris répètent ce que l’autre vient de dire, comme un écho.
“Compris. Couper la mixture, couper le moteur, dès je sais que je ne risque pas de redécoller.”
“Exactement comme tu l’as dit tout à l’heure : comme un atterrissage sur terrain mou”
J’imagine que ce comportement est une habitude que l’on développe lorsqu’on apprend à piloter un avion. Ce qui m’interpelle particulièrement, c’est à quel point cette répétition se fait à l’identique, sans chercher à reformuler ou améliorer ce qui a été dit. La valeur est dans ce que l’autre a dit, et non dans le grain de sel supplémentaire que l’on pourrait ajouter.
Gérer les dépendances
Si Taylor et Chris apparaissent naturellement comme les protagonistes de cette histoire, il serait dommage de passer à côté du rôle décisif joué par la tour de contrôle.
D’abord, elle informe Taylor de ce qu’il y a autour d’elle, pour la décharger d’une inquiétude supplémentaire :
"Il n’y a pas d’avion au nord, tu peux maoeuvrer comme tu veux.”
Ensuite, et c’est d’autant plus perceptible dans la version non-montée des échanges, la tour de contrôle détourne de nombreux avions. Pour s’assurer que la piste sera complètement libre au moment où Taylor tentera son atterrissage, la tour de contrôle s’assure que tous les autres avions environnant sont informés de la situation et ajustent leurs plans en conséquence.
“Nous considérons que l’aéroport est fermé. Il est réservé pour Taylor.”
Enfin, elle anticipe le pire et coordonne le personnel d’urgence pour venir en aide en cas d’accident :
“Si tu décides d’atterrir, les véhicules d'urgence te suivront sur la piste.”
Rester silencieux
Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais il y a une quatrième personne clé dans la discussion. Un pilote (avion N113EJ) décolle juste après Taylor. C’est d’ailleurs lui qui lui donne les premières instructions : “Suis le circuit habituel, garde le contrôle de ton avion et passe en revue tes checklists”.
Très vite, la tour de contrôle lui demande de la suivre. Le détail incroyable est que, une fois que Chris a établi la relation avec Taylor, le pilote de l’avion N113EJ va rester complètement silencieux. C’est d’autant plus impressionnant qu’il précise dès le départ qu’il est lui aussi pilote-instructeur, et aurait toute légitimité à intervenir.
Complimenter les personnes de l’ombre
Assez naturellement, lorsqu’un tel évènement survient, l’attention de tout le monde est tourné vers la personne en danger. L’instructeur Chris est entièrement concentré sur la situation et l’état émotionnel de Taylor.
C’est d’autant plus remarquable de l’entendre l’instructeur souligner le travail discret et indispensable effectué par la tour de contrôle.
“Tu fais un super boulot aussi à la tour de contrôle”
Et, à la toute fin de l’enregistrement, une fois que la situation a été résolue, on entend un autre pilote complimenter toutes les personnes impliquées.
Quand je relis ces six comportements, une chose me frappe.
Demander de l’aide
S’intéresser au contexte de l’autre
Répéter ce qu’on a entendu
Gérer les dépendances
Rester silencieux
Complimenter les personnes de l’ombre
Leur point commun ? Adopter ces comportements ne nécessite aucune compétence technique particulière, mais requiert l’effort rare de mettre son ego en veilleuse.
Par acquit de conscience, j’ai fait relire cette analyse à plusieurs pilotes d’avion, professionnels et amateurs. Et quelque chose de magique est apparu dans leurs retours : leur unanimité totale sur le fait que mon interprétation était à côté de la plaque.
Pourquoi ? Cela sera l’objet de la prochaine édition !
Merci Jason Fried pour l’inspiration.
Qui suis-je ?
Je m’appelle Rémi Guyot. J’ai co-créé la société Discovery Discipline, qui aide des entreprises à mieux concevoir les produits digitaux de demain. Nos services incluent du conseil, de la formation, des prises de paroles publiques et du coaching individuel.
En particulier, notre approche structure comment formuler des hypothèses et évaluer leur pertinence, afin de dérisquer les prises de décisions.
Pour en savoir plus, contactez-moi en répondant à cet email.
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